À l'occasion de la parution de notre nouvel ouvrage Être garçon, la masculinité à contre-courant, découvrez l'interview de Karim Ouaffi et Mikankey.
Bonjour à tous les deux, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Karim : Je m’appelle Karim et j’ai 41 ans. Je suis né dans l’Oise, à Creil, de parents algériens. J’ai étudié le journalisme à Paris et je suis désormais réalisateur de reportages. Depuis bientôt trois ans, j’écris aussi des livres.
Mikankey : Fan inconditionnelle de chats, de littérature médiévale, de bricolage et de cuisine, c’est pourtant la voie de l’illustration que j’ai choisi de suivre il y a 4 ans ! À travers l’art et la bande dessinée, j’aime aborder avec pédagogie les relations sociales, l’histoire du genre et la sociologie.
Jusqu’à maintenant, quel est le projet que vous avez entrepris et dont vous êtes le plus fier·e ?
Karim : C’est simple, ce sont mes enfants. Ils me donnent de la force chaque jour et l’envie d’aller le plus loin possible pour qu’ils soient fiers de moi. Les éduquer, les aider, les accompagner, être là pour eux… c’est la chose la plus importante dans ma vie.
Mikankey : Pouvoir vivre grâce à ma plume et mon pinceau (mon stylet en vérité, mais l’image du pinceau est plus poétique !) sur des projets auxquels je crois, dont je suis fière et qui sont toujours en synergie avec mes valeurs. Pouvoir assouvir ma curiosité et ma créativité, c’est vraiment ce qui m’anime chaque jour.
Que préférez-vous dans le fait d’écrire ou de dessiner ?
Mikankey : Ce que j’aime particulièrement dans la bande dessinée, c’est qu’il ne faut jamais délaisser l’un au profit de l’autre. L’écriture et le dessin œuvrent ensemble pour raconter une histoire et faire vivre des émotions. C’est l’alliance parfaite de deux centres d’intérêt qui m’animent depuis toujours : les mots et l’image.
Karim : Écrire, écrire encore et encore… Imaginer, penser à la meilleure histoire… C’est que j’aime dans mon métier. J’ai toujours eu une grande imagination. Depuis petit, j’aime penser à différentes situations, à des personnes qui sortent de l’ordinaire. L’écriture représente pour moi un moment de paix. Et ça me stimule intellectuellement. C’est donc l’exercice parfait !
Avez-vous des rituels de travail ?
Karim : Je n’ai pas de véritable rituel, je me laisse plutôt porter. Mon imagination divague, je pense à 20 000 choses en même temps… J’ai besoin que ça se « développe » dans mon cerveau alors je prends des notes, et après plusieurs jours je peux enfin me lancer.
Mikankey : Je suis assez spontanée dans ma manière de travailler. J’ai d’abord besoin d’une longue phase de réflexion, loin de ma feuille (j’aime maintenir l’illusion que je travaille en traditionnel alors qu’en réalité, je suis sur tablette numérique !). Mais quand je commence, je ne peux plus m’arrêter avant d’avoir terminé ce que je suis en train de faire !
Pouvez-vous nous parler un peu de Être garçon ?
Karim : Ce projet m’est tombé dessus quand je m’y attendais le moins ! Cela fait suite à un livre que j’avais écrit. Mon éditrice, Natalie, m’a présenté un autre ouvrage qu’elle souhaitait publier sur la même thématique, mais pour les ados et Être garçon est arrivé sur la table tout naturellement.
Karim, cette thématique vous tient particulièrement à cœur. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Karim : Je suis loin d’être un homme parfait, mais je me questionne. Et c’est vrai que cette thématique me parle et m’obsède. La place de l’homme, son rôle, ses erreurs… J’aimerais que nous (les hommes) en prenions conscience pour pouvoir réaliser un véritable changement.
Mikankey, quelles ont été les raisons qui vous ont motivée à vous engager dans ce projet ?
Mikankey : Je me suis beaucoup engagée dans la cause féministe à partir du moment où je suis arrivée à Paris pour mes études. En arrivant à la capitale, j’ai été écrasée par le poids de ce que voulait dire d’être une femme aujourd’hui. Mon activisme a commencé timidement, puis s’est fait plus bruyant lorsque j’ai commencé l’illustration et que j’ai pu partager, grâce à l’image, des réflexions féministes.
Après 7 ans à m’adresser à un public plutôt féminin, le constat est sans appel : pour en finir avec la misogynie, il faut inévitablement déconstruire la masculinité et le faire le plus tôt possible auprès des garçons.
L’adolescence est un moment charnière pour tous les enfants, c’était important pour nos éditrices, Karim et moi, de proposer un ouvrage qui puisse soulever et répondre aux questions qui traversent l’esprit d’adultes en devenir.
Comment s’est déroulée cette année intense en création ?
Karim : C’était clairement sportif ! J’ai dû mettre un plan de bataille en place ! L’écriture du scénario s’est très bien déroulée et la partie doc m’a donné un peu plus de fil à retordre pour répondre à nos attentes.
Mikankey : On était assez raccord sur ce que l’on souhaitait raconter et le ton que l’on devait employer. Karim m’a fait énormément confiance sur la manière d’illustrer et de donner vie à son histoire.
Karim, vous avez déjà écrit sur cette thématique, mais pour les adultes. Comment vous êtes-vous adapté à un lectorat ado ?
Karim : Ça n’a absolument rien à voir ! Dans mon style je peux être très cash, direct, parfois vulgaire et j’utilise pas mal le sarcasme. Écrire pour les jeunes, ça change tout. On ne peut pas utiliser le même vocabulaire, les mêmes mots. Ils n’ont pas le même vécu et sont encore en phase d’apprentissage. Mais c’était intéressant !
Être garçon possède une double structure : une première partie fictionnelle, sous la forme d’une bande dessinée, et une deuxième partie plus documentaire pour revenir sur les concepts plus en détail. Comment avez-vous navigué entre ces deux parties ?
Mikankey : La fiction est un super moyen d’aborder des sujets lourds et intimes. Elle permet aux lecteur.rices de s’identifier plus rapidement aux personnages. Pour la deuxième partie, nous avons mis l’accent sur l’humour pour la rendre plus abordable et ludique. Ces pages ont d’ailleurs été les plus simples pour moi à réaliser, car je suis plus habituée à mettre en image des textes pédagogiques. La fiction est encore très récente pour moi.
Karim : Écrire le scénario, c’était un jeu ! Pour la partie documentaire, c’était différent. Il fallait être sérieux, précis, objectif. Et j’ai trouvé l’exercice un peu plus difficile.
Mikankey, vous arrivez à transmettre énormément de choses. Les expressions des visages et les attitudes de vos personnages reflètent à la perfection les comportements des adolescents. Quelles ont été vos inspirations ?
Mikankey : Je passe beaucoup de temps à observer les choses qui m’entourent et les gens. J’ai lu énormément de mangas et regardé beaucoup d’animés. Les mangas, notamment, ont apporté un souffle de renouveau dans la bande dessinée franco-belge : l’émotion y est sublimée, incarnée, mais surtout exagérée. Les adolescents sont familiers avec ce style graphique, c’était donc important pour nous de nous adapter à ce qu’ils aiment pour leur donner envie de lire Être garçon.
Vous abordez énormément de sujets. Y en a-t-il un qui a été plus difficile que les autres à mettre en mots ou en images ?
Mikankey : Le sujet du harcèlement scolaire a été le plus difficile à mettre en image. Ayant moi-même été victime de harcèlement au collège, je voulais être réaliste dans ma manière d’illustrer la complexité de la loi du silence qui est imposée à celles et ceux qui subissent les brimades. Dans ce chapitre, le regard est essentiel, aussi bien chez les victimes que chez les agresseurs.
Karim : Honnêtement, aucun. Je ne me suis pas senti gêné ou bloqué dans l’écriture du scénario. C’était assez clair !
Quel est votre personnage préféré, et pourquoi ?
Karim : Masato est mon personnage préféré. J’aborde avec lui le domaine des émotions chez les hommes. On débute l’ouvrage avec ça et je trouve ça génial !
Et puis, j’ai adoré écrire le deuxième chapitre, celui de Youri. Cette partie est douce, touchante. Je l’aime bien !
Mikankey : J’aime tous les personnages, mais je pense que je me suis davantage attachée à Masato qui a beaucoup de mal à identifier et transmettre ses émotions. Ce n’est qu’au moment où il n’en peut vraiment plus, qu’il explose.
J’admire aussi beaucoup Lily qui réussit, très jeune, à poser ses limites dans ses relations sociales.